Augustin sur Genèse 1,1

Augustin, (Thagaste, actuelle Souk Ahras en Algérie, 354 – 430 à Hippone, actuelle Annaba en Algérie) fait ses études à Carthage où il se passionne de philosophie et rhétorique, en 382 il est à Rome et en 384 il sera professeur de rhétorique à Milan, résidence impériale. Dans cette ville il recevra le baptême en 387 par l’évêque Ambroise. Avec lui il découvre la réflexion et l’interprétation chrétienne de la Bible dans la tradition des pères Cappadociens et aux commentaires d’Ambroise il ajoutera d’amples développements philosophiques, comme ceux que nous retrouvons dans son ouvrage “Sur la Genèse au sens littéral”.

Pour une introduction aux commentaires de Genèse 1, 1 voir la page Genèse 1, 1 Bereshit

Pour le lexique grec (arkhế, lógos, génesis) voir: Lexique des commentaires de Genèse 1, 1

De Genesi Ad Litteram Imperfectus Liber sur les quatre façon d’expliquer l’Ecriture:

Texte latin dans Patrologie Latine,  J.-P. Migne, Volume 34

2.5. Secundum hanc fidem quae possint in hoc libro quaeri et disputari, considerandum est. In principio fecit Deus coelum et terram. Quatuor modi a quibusdam Scripturarum tractatoribus traduntur Legis exponendae, quorum vocabula enuntiari graece possunt, latine autem definiri et explicari: secundum historiam, secundum allegoriam, secundum analogiam, secundum aetiologiam. Historia est, cum sive divinitus, sive humanitus res gesta commemoratur. Allegoria, cum figurate dicta intelleguntur. Analogia, cum Veteris et Novi Testamentorum congruentia demonstratur. Aetiologia, cum dictorum factorumque causae redduntur.
Selon cette foi il faut considérer ce qui dans ce livre peut être questionné et discuté. “Dans le “principium” Dieu fit le ciel et la terre” (Genèse 1, 1). Certains commentateurs des Écritures nous transmettent quatre façons d’expliquer la Loi, dont les vocables peuvent être énoncés en grec, mais doivent être définis et expliqués en latin: selon l’histoire, selon l’allégorie, selon l’analogie, selon l’étiologie. L’histoire, c’est lorsqu’on commémore des faits qui ont été accomplis par ce qui est humain ou ce qui est divin; l’allégorie, lorsque ce qui est dit est compris au sens figuré; l’analogie, lorsqu’on montre la correspondance entre le Vieux et le Nouveau Testament; l’étiologie, lorsqu’on restitue les causes de ce qui est dit et de ce qui est fait.

3. 6. Hoc ergo quod scriptum est: In principio fecit Deus coelum et terram, quaeri potest utrum tantummodo secundum historiam accipiendum sit, an etiam figurate aliquid significet, et quomodo congruat Evangelio, et qua causa liber iste sic inchoatus sit.
Donc, pour ce qui est écrit, “dans le principium Dieu fit le ciel et la terre”, on peut se demander s’il faut le comprendre selon l’histoire ou bien s’il signifie aussi quelque chose au sens figuré et de quelle façon cela ait une correspondance dans l’Evangile et pour quel motif ce livre commence ainsi.

De Genesi Ad Litteram:

Compréhension de l’Ecriture à la lettre et au sens figuré

Texte latin dans Patrologie Latine,  J.-P. Migne, Volume 34

1, 1. 1. Omnis divina Scriptura bipartita est, secundum id quod Dominus significat, dicens, scribam eruditum in regno Dei similem esse patrifamilias proferenti de thesauro suo nova et vetera, quae duo etiam Testamenta dicuntur.
Toute la divine écriture est partagée en deux, selon ce à quoi le Seigneur fait allusion lorsqu’il dit que le connaisseur de l’écriture instruit au sujet du royaume de Dieu est semblable à un père de famille qui sort de son trésor des choses nouvelles et vieilles, qui sont dites aussi des deux testaments.

La division entre l’Ancien et le Nouveau Testament est la prémisse nécessaire à toute l’explication d’Augustin. En effet, l’ancien est figure du nouveau, les évènements, les faits réels racontés dans l’Ancien Testament sont pour les Chrétiens une figure, une annonce de ce qui sera accompli dans le nouveau par le Christ et son Église.

In Libris autem omnibus sanctis intueri oportet quae ibi aeterna intimentur, quae facta narrentur, quae futura praenuntientur, quae agenda praecipiantur vel admoneantur. In narratione ergo rerum factarum quaeritur utrum omnia secundum figurarum tantummodo intellectum accipiantur, an etiam secundum fidem rerum gestarum asserenda et defendenda sint. Nam non esse accipienda figuraliter, nullus christianus dicere audebit, attendens Apostolum dicentem: Omnia autem haec in figura contingebant illis: et illud quod in Genesi scriptum est: Et erunt duo in carne una, magnum sacramentum commendantem in Christo et in Ecclesia.
Dans tous les livres sacrés il faut regarder: ce qui est relaté d’éternel, les faits qui sont racontés, ce qui est annoncé de futur, ce qui est prescrit ou conseillé de faire. Dans la narration des faits, on cherche si tout doit être compris comme figure de façon intellectuelle, ou bien s’il faut aussi affirmer et défendre des actes (rerum gestarum) d’après la foi. En effet, aucun chrétien osera dire qu’il ne faut pas les recevoir de façon figurée, s’il prête attention à l’apôtre qui dit: “Tout cela leur arrivait en figure” [1 Corinthiens 10, 11] et [ce qu’il dit à propos de] ce qui est écrit en Genèse [2,24]: “”ils seront deux en une seule chair”, ceci est un grand sacrement qui renvoie au Christ et à l’église” (Ephésiens 5, 32).

Note: La notion de figure dans la tradition de l’évangile et des apôtres est justement différente de celle de symbole ou de métaphore. D’après les explications de Jésus lui même il s’agit d’accomplir ce qui a été annoncé auparavant. Les faits qui se sont produits auparavant sont une image, une figure de ce qui devait arriver après. Ceci est le mode prophétique d’annoncer un événement futur, en racontant un fait ou même en le mimant. Lorsque le prophète Jérémie a été chargé par Dieu d’annoncer l’exil futur du peuple, Dieu lui a dit de sortir lui-même de la ville comme celui qui s’exile, en prenant seulement un petit sac avec lui. Ce geste devait annoncer le sort futur du peuple. De la même façon, des faits racontés dans la bible sont une figure de ce que le Christ devait accomplir. Par exemple, l’agneau immolé dans le temple est une figure, une image du Christ innocent qui sera mis à mort; il en sera de même au sujet du meurtre d’Abel, le juste, qui en sacrifiant un agneau annonçait aussi le meurtre du Christ. En ce sens Jésus affirme: “Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise.” (Matthieu 5, 17-18)
Le danger du sens allégorique, pour Augustin, serait de créer une figure formée par l’esprit à partir d’un texte et non pas à partir de l’événement qui est relaté dans le texte. Il tient donc a rappeler l’importance de défendre les rerum gestarum, des événements qui ont eu lieu effectivement et qui sont à la base de la figure, c’est-à-dire de l’annonce qu’il vont constituer: c’est un acte réel qui devient figure d’un autre qui sera accompli dans le futur.

Signification de “principium” et de “caelum et terra”.

1, 1. 2. Si ergo utroque modo illa Scriptura scrutanda est, quomodo dictum est praeter allegoricam significationem: In principio fecit Deus coelum et terram? utrum in principio temporis, an quia primo omnium, an in principio, quod est Verbum Dei unigenitus Filius?
Si donc cette écriture doit être scrutée de ces deux façons, de quelle manière il a été dit: “In principio Dieu fit le ciel et la terre?” Peut-être au début du temps ou bien en premier de toute chose, ou bien dans le principe qui est le Verbum de Dieu, le Fils qui seul est engendré?

Ici saint Augustin résume les interprétations qui l’ont précédé et en particulier celle qui rapproche le mot grec en arkhế , utilisé dans la traduction des Septante du premier verset de la Genèse, du même mot au début de l’évangile de saint Jean 1,1: “Dans l’arkhế  était le lógos” (En arkhế ễn ho lógos). La traduction latine de ces mots était “In principio erat Verbum“. Pour le mot latin principium sont aussi valables beaucoup des significations que la tradition a attribuées au mot grec arkhế , le sens d’une origine, d’un principe, d’un commencement. Nous verrons que Augustin aussi utilise ce mot selon ses différentes significations. En ce qui concerne le mot grec lógos, il s’agit aussi d’une réalité complexe qui dit en même temps la parole et la raison. En latin, dans ce passage de l’Evangile, ce mot est traduit par Verbum. Il s’agit de la parole de Dieu, qui allie le sens de la parole qui exprime la pensée et le commandement de Dieu et aussi le fait que ce qui se trouve dans le Verbum de Dieu est l’expression de l’ordre et disposition parfaite où tout retrouve son sens et destinée première. Dans le Verbum de Dieu réside le modèle à l’image duquel la création est faite. Ce Verbum, la parole divine qui crée toutes choses n’est donc pas quelque chose de créé, qui s’ajoute à Dieu, mais il est coéternel à Dieu, il est engendré éternellement par lui. Selon la définition des Conciles il est unigenitus, le seul à être engendré, non pas créé. Il est lui-même avant toute chose il est le principe par lequel tout a été fait, il est l’origine et la fin de toute chose, l’alpha et l’oméga.

Et quomodo possit ostendi Deum sine ulla sui commutatione operati mutabilia et temporalia? Et quid significetur nomine coeli et terrae? utrum spiritalis corporalisque creatura coeli et terrae vocabulum acceperit, an tantummodo corporalis, ut in hoc libro de spiritali tacuisse intellegatur, atque ita dixisse coelum et terram, ut omnem creaturam corpoream superiorem atque inferiorem significare voluerit? an utriusque informis materia dicta est coelum et terra: spiritalis videlicet vita, sicuti esse potest in se, non conversa ad Creatorem; tali enim conversione formatur atque perficitur; si autem non convertatur, informis est: corporalis autem si possit intellegi per privationem omnis corporeae qualitatis, quae apparet in materia formata, cum iam sunt species corporum, sive visu, sive alio quolibet sensu corporis perceptibiles?
Et de quelle façon peut-on montrer que Dieu est à l’œuvre dans des choses muables et temporelles sans subir lui-même de changement? Et qu’est-ce qui est signifié par les mots ciel et terre? Soit la créature spirituelle et corporelle est ainsi désignée, soit seulement la corporelle. De cette façon on comprendrait que dans ce livre on se soit tu au sujet de la spirituelle et que de cette façon on ait dit ciel et terre de façon à vouloir indiquer toute créature corporelle supérieure et inférieure; ou bien, c’est la matière informe des deux qui est appelée ciel et terre? cela signifierait que la vie spirituelle [informe] est celle qu’elle peut être par elle-même non convertie [au sens de dirigée vers] le créateur – par une telle conversion, en effet, [la vie spirituelle] est formée et perfectionnée – la vie corporelle [informe] quant à elle, s’il elle peut être comprise à travers la privation de toutes qualités corporelles qui apparaissent dans la matière formée, lorsque déjà [s’y trouvent] les espèces des corps perceptibles par la vue ou n’importe quel autre sens du corps?

Signification de “caelum et terra”.

1, 1. 3. An coelum intellegendum est creatura spiritalis, ab exordio quo facta est, perfecta illa et beata semper: terra vero, corporalis materies adhuc imperfecta? quia terra, inquit, erat invisibilis et incomposita, et tenebrae erant super abyssum; quibus verbis videtur informitatem significare substantiae corporalis? An utriusque informitas his etiam posterioribus verbis significatur? corporalis quidem eo quod dictum est: Terra erat invisibilis et incomposita: spiritalis autem eo quod dictum est: Tenebrae erant super abyssum; ut translato verbo tenebrosam abyssum intellegamus naturam vitae informem, nisi convertatur ad Creatorem: quo solo modo formari potest, ut non sit abyssus; et illuminari, ut non sit tenebrosa? Et quomodo dictum est: Tenebrae erant super abyssum? an quia non erat lux? quae si esset, utique superesset, et tamquam superfunderet: quod tunc fit in creatura spiritali, cum convertitur ad incommutabile atque incorporale lumen, quod Deus est.
Ou bien faut-il comprendre que le ciel est cette créature spirituelle toujours parfaite et bienheureuse depuis son début, et terre, en vérité, la matière corporelle encore imparfaite? Parce que, dit-il, la terre était invisible et non organisée, et les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme: par ces paroles il semble signifier la substance corporelle non formée. Ou bien par ces derniers mots est indiqué que l’une et l’autre étaient sans forme? La corporelle parce qu’il est dit: “la terre était invisible et non-organisée” et la spirituelle parce qu’il est dit: “les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme” de façon à comprendre la nature informe de la vie en transférant la nature ténébreuse de l’abîme à celle de la vie qui n’est pas encore orientée (convertatur, convertie) vers le créateur, seul moyen d’être par lui formée, de façon à ne plus être un abîme et par lui illuminée de façon à ne plus être ténébreuse. Et de quelle façon est-il dit: “les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme”? Est-ce parce que la lumière n’était pas encore? Parce que si elle était, elle serait au-dessus de lui et comme diffuse: ce qui se réalise dans la créature spirituelle lorsqu’elle est orientée (convertitur) vers la lumière immuable et incorporelle qui est Dieu.

Création de la lumière
Hypothèse écartée: ce n’est pas au moyen d’une créature que Dieu dit: “Que la lumière soit.”

1, 2. 4. Et quomodo dixit Deus: Fiat lux? utrum temporaliter, an in Verbi aeternitate? Et si temporaliter, utique mutabiliter; quomodo ergo possit intellegi hoc dicere Deus, nisi per creaturam; ipse quippe est incommutabilis? Et si per creaturam dixit Deus: Fiat lux; quomodo est prima creatura lux, si erat iam creatura, per quam Deus diceret: Fiat lux? An non est lux prima creatura; quia iam dictum erat: In principio fecit Deus coelum et terram; et poterat per coelestem creaturam vox fieri temporaliter atque mutabiliter, qua diceretur: Fiat lux? Quod si ita est, corporalis lux facta est ista, quam corporeis oculis cernimus, dicente Deo per creaturam spiritalem, quam Deus iam fecerat, cum in principio fecit Deus coelum et terram: Fiat lux; eo modo quo per talis creaturae interiorem et occultum motum divinitus dici potuit: Fiat lux.
De quelle façon Dieu dit: “Que la lumière soit” (Genèse 1, 3)? Si c’est dans le temps, c’est aussi dans le changement. De quelle façon, donc, peut être compris que Dieu dise cela si ce n’est par une créature? Lui-même, en effet, est immuable. Et si c’était par une créature que Dieu dit: “Que la lumière soit”, de quelle façon la lumière serait-elle la première créature, s’il y en avait déjà une par laquelle Dieu dit: “Que la lumière soit”? Ou bien, la lumière ne serait pas la première créature puisqu’il avait déjà été dit: “Au commencement Dieu fit le ciel et la terre”? Est-ce qu’il aurait pu y avoir une voix par une créature céleste par laquelle il serait dit dans le temps et dans le changement: “Que la lumière soit”? Si cela était ainsi, la lumière corporelle, telle que nous la voyons avec nos yeux corporels, aurait été faite au moment où Dieu [dit]: “Que la lumière soit”], à travers une créature spirituelle, qu’il aurait déjà faite quand in principio il a fait le ciel et la terre. C’est de cette façon que par le mouvement divin intérieur et caché d’une telle créature il a pu être dit: “Que la lumière soit.”

La voix de Dieu lorsqu’il crée la lumière

1, 2. 5. An etiam corporaliter sonuit vox dicentis Dei: Fiat lux; sicut corporaliter sonuit vox dicentis Dei: Tu es Filius meus dilectus: et hoc per creaturam corporalem, quam fecerat Deus, cum in principio fecit coelum et terram, antequam fieret lux, quae in hac sonante voce facta est? Et si ita est, qua lingua sonuit ista vox, dicente Deo: Fiat lux; quia nondum erat linguarum diversitas, quae postea facta est in aedificatione turris post diluvium? Quaenam lingua erat una et sola, qua Deus locutus est: Fiat lux? et quis erat quem oportebat audire, atque intellegere, ad quem vox huiusmodi proferretur? An haec absurda carnalisque cogitatio est atque suspicio?
Ou bien la voix de Dieu a résonné corporellement lorsqu’il dit: “Que la lumière soit” de la même façon que la voix de Dieu a résonné corporellement lorsqu’il a dit: “Tu es mon fils bien-aimé” (Matthieu 3, 17)? Et cela par une créature corporelle que Dieu aurait fait lorsqu’au commencement il fit le ciel et la terre, avant de faire la lumière qui fut faite par cette voix qui a résonné? Et s’il en est ainsi, dans quelle langue a résonné cette voix par laquelle Dieu dit: “Que la lumière soit”, puisqu’il n’y avait pas encore la diversité des langues, qui fut faite après dans la construction de la tour après le déluge? Quelle était cette seule et unique langue par laquelle Dieu a prononcé: “Que la lumière soit”? Et qui était celui à qui cette parole aurait dû être adressée de cette façon et qui aurait dû l’entendre et comprendre? Celle-ci n’est-elle pas une pensée et une hypothèse absurde et charnelle?

La voix de Dieu lorsqu’il crée et le Verbum.

1, 2. 6. Quid ergo dicemus? An id quod intellegitur in sono vocis, cum dicitur: Fiat lux, non autem ipse corporeus sonus, hoc bene intellegitur esse vox Dei? et utrum hoc ipsum ad naturam pertineat Verbi eius, de quo dicitur: In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum? Cum enim de illo dicitur: Omnia per ipsum facta sunt; satis ostenditur et lux per ipsum facta, cum dixit Deus: Fiat lux. Quod si ita est, aeternum est quod dixit Deus: Fiat lux; quia Verbum Dei Deus apud Deum, Filius unicus Dei, Patri coaeternus est: quamvis Deo hoc in aeterno Verbo dicente creatura temporalis facta sit.
Que dirions-nous donc? Sinon que c’est ce qui est compris dans le son de la voix, lorsqu’il est dit: “Que la lumière soit” et non pas le son corporel lui-même, n’est-ce pas cela bien comprendre ce que c’est la voix de Dieu? Ce n’est pas cela même qui convient à la nature de sa parole [de Dieu], à propos de laquelle il est dit: “Au commencement était le Verbum et le Verbum était auprès de Dieu et Dieu était Verbum? Lorsqu’en effet il est dit de lui: tout a été fait par lui, cela est assez démontré que la lumière aussi a été faite par lui [par le Verbum de Dieu], lorsque Dieu dit: “Que la lumière soit.” S’il en est ainsi, ce que Dieu dit: “Que la lumière soit” est éternel, puisque le Verbum de Dieu [est] Dieu auprès de Dieu, fils unique de Dieu, coéternel au Père, bien que, Dieu disant cela dans un Verbum éternel, une créature temporelle temporelle soit faite.

Fameux est aussi le commentaire de saint Augustin au sujet de Jean-Baptiste qui était la voix qui résonne dans le désert et qui annonce le Messie. La voix, le son disparaît après l’annonce, mais la parole que nous avons entendue demeure en nous, lorsque nous l’avons comprise et accueillie. Jean-Baptiste était la voix qui résonne et le Christ la parole de Dieu véhiculée, annoncée par cette voix.
Ici la parole de Dieu indique le sens qui est porté par les mots et leurs son, non pas le son lui-même. La voix de Dieu est ce qui est compris (quod intellegitur).

Cum enim verba sint temporis, cum dicimus: Quando, et aliquando; aeternum tamen est in Verbo Dei, quando fieri aliquid debeat: et tunc fit quando fieri debuisse in illo Verbo est, in quo non est quando et aliquando, quoniam totum illud Verbum aeternum est.
Bien que, en effet, les mots appartiennent au temps, lorsque nous disons “quand” et “un jour”, toutefois dans le Verbum de Dieu quand quelque chose doit être faite et qu’elle est faite à un moment précis, le moment où elle aurait dû être faite se trouve dans ce Verbum, dans laquel il n’y a pas de “quand” ou de “un jour”, puisque tout ce Verbum est éternel.

Qu’est-elle cette lumière fait par Dieu?

1, 3. 7. Et quid est lux ipsa quae facta est? utrum spiritale quid, an corporale? Si enim spiritale, potest ipsa esse prima creatura, iam hoc dicto perfecta, quae primo coelum appellata est, cum dictum est: In principio fecit Deus coelum et terram: ut quod dixit Deus: Fiat lux; et facta est lux, eam revocante ad se Creatore, conversio eius facta atque illuminata intellegatur.
Et qu’est-ce que c’est cette lumière même qui a été faite? Est-elle spirituelle ou corporelle? En effet, si elle est spirituelle, elle pourrait être cette même première créature déjà rendue parfaite par cette parole, qui avait d’abord été appelée ciel, lorsqu’il a été dit: “au commencement Dieu fit le ciel et la terre” de telle façon que “Dieu dit: que la lumière soit. Et la lumière fut” soit compris comme la conversion et l’illumination qui se fait lorsque le créateur la rappelle à lui.

Est-ce que Dieu aurait créé dans son Verbum en parlant?

1, 3. 8. Et cur ita dictum est: In principio fecit Deus coelum et terram; et non dictum est: In principio dixit Deus: Fiat coelum et terra; et facta sunt coelum et terra: sicut de luce narratur: Dixit Deus: Fiat lux; et facta est lux? Utrum prius universaliter nomine coeli et terrae comprehendendum erat et commendandum quod fecit Deus; et deinde per partes exsequendum, quomodo fecit, cum per singula dicitur: Dixit Deus; id est, quia per Verbum suum fecit, quidquid fecit?
Et pourquoi il est dit ainsi: “au commencement Dieu fit le ciel et la terre” et il n’est pas dit: “au commencement Dieu dit: que le ciel et la terre soient. Et le ciel et la terre furent faits”, comme il est raconté de la lumière: “Dieu dit: que la lumière soit. Et la lumière fut”? Fallait-il d’abord comprendre les vocables ciel et terre de façon globale et mettre en valeur ce qu’a fait Dieu, et ensuite comment il a poursuivi la réalisation de chaque partie, en disant pour chacune: “Dieu dit” et cela parce que quoi qu’il ait fait, il l’a fait par sa parole?

Comment est créé la matière informe.

1, 4. 9. An cum primum fiebat informitas materiae sive spiritalis sive corporalis, non erat dicendum: Dixit Deus: Fiat; quia formam Verbi semper Patri cohaerentis, quo sempiterne dicit Deus omnia, neque sono vocis neque cogitatione tempora sonorum volvente, sed coaeterna sibi luce a se genitae Sapientiae, non imitatur imperfectio, cum dissimilis ab eo quod summe ac primitus est, informitate quadam tendit ad nihilum;
Ou bien parce que lorsque d’abord il faisait l’informité de la matière spirituelle et corporelle, il ne fallait pas dire: “Dieu dit: que soit”, puisque l’imperfection, en ce que par son informité elle tend au néant, n’est pas à l’image (imitatur) de la forme de la parole qui est toujours auprès (cohaerentis) du Père, par laquelle Dieu dit tout éternellement, non par le son de la voix ou par une réflexion qui évolue dans le temps, mais par la lumière d’une sagesse coéternelle à lui et engendrée par lui, qui est première et au-dessus de tout;

Ici Augustin explique clairement que la parole de Dieu est éternelle, ce que Dieu veut est éternel, cela n’évolue pas dans le temps. Le son qui conduit les paroles a besoin du temps pour être émis, de même la suite des pensées d’une réflexion s’inscrit dans le temps, mais non pas la parole de Dieu qui a un statut particulier: elle est la seconde personne de la Trinité, coéternelle au père, engendrée par lui. Augustin reprend ici les affirmations du crédo de Nicée-Constantinople et les arguments des pères cappadociens qui l’ont préparé:  saint Basile dans son traité Contre Eunome”, Grégoire de Nysse et Grégoire de Naziance.

sed tunc imitatur Verbi formam, semper atque incommutabiliter Patri cohaerentem, cum et ipsa pro sui generis conversione ad id quod vere ac semper est, id est ad creatorem suae substantiae, formam capit, et fit perfecta creatura:
mais maintenant [après que Dieu dit: “soit”, elle a pris forme et] elle imite la forme de la parole qui est toujours auprès du père sans changement, puisque elle-même en se tournant selon sa nature  vers celui qui est véritablement et toujours, c’est-à-dire vers le créateur de sa substance, elle reçoit une forme et devient une créature achevée:

ut in eo quod Scriptura narrat: Dixit Deus: Fiat, intellegamus Dei dictum incorporeum in natura Verbi eius coaeterni revocantis ad se imperfectionem creaturae, ut non sit informis, sed formetur secundum singula quae per ordinem exsequitur? In qua conversione et formatione, quia pro suo modo imitatur Deum Verbum, hoc est Dei Filium semper Patri cohaerentem, plena similitudine et essentia pari, qua ipse et Pater unum sunt; non autem imitatur hanc Verbi formam, si aversa a Creatore, informis et imperfecta remaneat: propterea Filii commemoratio non ita fit quia Verbum, sed tantum quia principium est, cum dicitur: In principio fecit Deus coelum et terram; exordium quippe creaturae insinuatur adhuc in informitate imperfectionis:
Afin que dans ce que dit l’Ecriture: “Dieu dit: que ce soit” nous comprenions ce que Dieu dit de façon non-corporelle dans la nature de son Verbum coéternel, qui rappelle à lui l’imperfection de la créature, afin qu’elle ne soit pas informe, mais soit formée selon chacune [des créatures] qui sont réalisées par cet ordre. Dans cette conversion et formation dans laquelle elle imite à sa façon Dieu qui est Verbum, qui est le Fils de Dieu toujours auprès du père, pleinement ressemblant et de même essence, par laquelle lui-même [le Fils, Verbum] et le père sont un, [la créature] n’imite pas cette forme de la parole, si elle reste détournée du créateur et imparfaite. C’est pour cela qu’il n’est pas fait mention du fils en tant que parole, mais seulement en tant que principe, lorsqu’il est dit: “In principio Dieu fit le ciel et la terre”; c’est le début dans l’informité de l’imperfection qui est donc ici signifié.

fit autem Filii commemoratio, quod etiam Verbum est, eo quod scriptum est: Dixit Deus: Fiat; ut per id quod principium est, insinuet exordium creaturae existentis ab illo adhuc imperfectae; per id autem quod Verbum est, insinuet perfectionem creaturae revocatae ad eum, ut formaretur inhaerendo Creatori, et pro suo genere imitando formam sempiterne atque incommutabiliter inhaerentem Patri, a quo statim hoc est quod ille.
Il est par contre fait mention du Fils, puisqu’il est aussi parole, lorsqu’il est écrit: “Dieu dit: que ce soit” de telle façon que lorsqu’il est principium on fait allusion au début (exordium, la sortie du néant) de la créature qui existe par lui encore imparfaite, et lorsqu’il est fait mention du Fils, en tant que parole, on fait allusion à la perfection de la créature rappelée à lui, afin de former, par son union au créateur et par l’imitation, selon sa nature, de la forme éternelle et immuable unie au Père, duquel elle [cette parole éternelle] reçoit d’être aussitôt ce que Lui [le Père] est.

Selon la doctrine trinitaire le Fils de Dieu est la Parole éternelle de Dieu, qui coexiste éternellement avec lui, en est l’expression et l’image parfaite et en cette parole, en Dieu est la forme parfaite de tout ce qui existe, de tout ce que cette parole appèle à l’être.
Voir: de gen ad litt ip. Imprf. 16, 57-61. De vera rel. 36,66. De trinitate 6, 10, 11 ss. Confessions 12, 28,38. De civitate dei 10,14: “forme intelligible et immuable qui contient en elle toutes les perfections.”

La créature informe reçoit une forme lorsqu’elle se tourne vers la lumière de la sagesse.

1, 5. 10. Non enim habet informem vitam Verbum Filius, cui non solum hoc est esse quod vivere, sed etiam hoc est vivere, quod est sapienter ac beate vivere. Creatura vero, quamquam spiritalis et intellectualis vel rationalis, quae videtur esse illi Verbo propinquior, potest habere informem vitam; quia non sicut hoc est ei esse quod vivere, ita hoc vivere quod sapienter ac beate vivere. Aversa enim a Sapientia incommutabili, stulte ac misere vivit, quae informitas eius est. Formatur autem conversa ad incommutabile lumen Sapientiae, Verbum Dei. A quo enim exstitit ut sit utcumque ac vivat, ad illum convertitur ut sapienter ac beate vivat. Principium quippe creaturae intellectualis est aeterna Sapientia; quod principium manens in se incommutabiliter, nullo modo cessaret occulta inspiratione vocationis loqui ei creaturae cui principium est, ut converteretur ad id ex quo est, quod aliter formata ac perfecta esse non possit. Ideoque interrogatus quis esset, respondit: Principium, quia et loquor vobis.
En effet, la Parole, le Fils [de Dieu] n’a pas de vie informe, pour lui, non seulement être est la même chose que vivre, mais vivre pour lui est la même chose que vivre dans la sagesse et la béatitude. La créature, par contre, bien que spirituelle et intellectuelle ou rationnelle, ce qui semble être plus proche de cette parole [éternelle], peut avoir une vie informe, puisque, même si être soit la même chose que vivre, vivre n’est pas la même chose que vivre dans la sagesse et la béatitude. En effet, détournée de la sagesse immuable, elle vit de façon inconsidérée et misérable, c’est cela ne pas avoir de forme. Par contre, elle est formée lorsqu’elle se tourne (conversa) vers la lumière de la sagesse éternelle, la Parole de Dieu. Par elle [cette Parole et Sagesse], elle vient à l’être, pour qu’elle soit n’importe comment et qu’elle vive, et lorsqu’elle s’oriente (convertitur) vers elle [vers cette Parole], c’est pour vivre dans la sagesse et la béatitude. Donc, le principe de la créature intellectuelle est la sagesse éternelle: ce principe, tout en demeurant en lui-même immuable, il ne cesse d’aucune façon, par la secrète inspiration de son appel, de parler à cette créature dont elle est le principe, afin qu’elle s’oriente vers ce à partir de quoi elle est, ne pouvant pas être formée et perfectionnée par d’autres. C’est pour cela que, interrogé, sur qui il était, il répondit: “Je suis le principe, c’est pourquoi je vous parle” (Jean 8, 25).

[…]

Livre 5

Après le récit des sept jours de la création, au chapitre 2, 4 un résumé de cette œuvre est donné, avant de commencer le récit du Paradis terrestre. Voici encore un commentaire d’Augustin sur ces versets qui résument sa lecture de ce jour de la création.

Genèse 2, 4:
Hic est liber creaturae coeli et terrae, cum factus est dies, fecit Deus coelum et terram, et omne viride agri, …
Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, lorsque le jour fut fait, Dieu fit le ciel et la terre et toute verdure du champs …

Il faut signaler ici que le texte de Genèse 2,4 commenté ici par Augustin est une variante de la traduction latine, qui présuppose un texte original grec avec le mot ᾗ ἡμέρᾳ au nominatif au lieu du datif et la virgule après ce mot et non avant:
Gn 2, 4: Αὕτη ἡ βίβλος γενέσεως οὐρανοῦ καὶ γῆς, ὅτε ἐγένετο, ᾗ ἡμέρᾳ ἐποίησεν ὁ θεὸς τὸν οὐρανὸν καὶ τὴν γῆν …
Ceci est le livre de la genèse du ciel et de la terre, lorsqu’elle a été engendrée, dans le jour où Dieu a fait le ciel et la terre …

Pourquoi est ajouté “la verdure du champs”.

5, 2. 4. Cum autem nomine coeli et terrae, usitato more Scripturarum, nunc universam creaturam voluerit accipi, quaeri potest cur addiderit, et omne viride agri; quod mihi videtur ideo posuisse, ut significantius intimaret quem diem commendaverit, quod ait, cum factus est dies. Cito enim quisquam putaret hunc diem lucis corporeae commendatum, quo circumeunte nobis vicissitudo diurni nocturnique temporis exhibetur. Sed cum creaturarum conditarum ordinem recolimus, et invenimus omne viride agri tertio die creatum, antequam sol fieret, qui quarto die factus est, cuius praesentia dies iste quotidianus usitatusque peragitur; quando audimus: Cum factus est dies, fecit Deus coelum et terram, et omne viride agri; admonemur de ipso die cogitare, quem sive corporalem nescio qua luce nobis incognita, sive spiritalem in societate unitatis angelicae, non tamen talem qualem hic novimus, intellectu vestigare conemur.
Puisque, toutefois, par le vocable de ciel et de terre on a voulu, selon une coutume habituelle des écritures, que soit compris l’ensemble des créateurs, on peut se demander pourquoi il a été ajouté: “et toute la verdure des champs”. À ce qui me semble, donc, cela a été mis afin de faire connaître avec plus de précision, à quel jour il se réfère, lorsqu’il dit: “lorsque le jour fut fait.” En effet, quelqu’un pourrait vite croire qu’on se réfère ici à ce jour de lumière corporelle, qui tournant autour de nous, nous montre l’alternance du temps de jour et de nuit. Mais lorsque nous nous souvenons de l’ordre dans lequel les créatures ont été faites, nous trouvons que toute la verdure des champs a été créé le troisième jour, avant que le soleil fut fait; celui-ci fut fait le quatrième jour et sa présence réalise notre journée quotidienne habituelle; lorsque nous entendons: “Quand le jour fut fait, Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure du champs”, nous sommes avisés de réfléchir au sujet de ce même jour: s’il est corporel je ne sais pas par quelle lumière à nous inconnue [il est éclairé], s’il est spirituel il est dans la société de l’unité angélique, mais non pas tel que nous l’avons connu, nous nous efforcerons d’investiguer par l’intellect [ce genre de jour et de lumière].

La création des végétaux avant le soleil prouve que c’est un jour unique qui est répété sept fois.

5, 3. 6. Porro autem superior narratio factum diem primitus indicat, eumque unum diem deputat; post quem secundum annumerat, quo factum est firmamentum; et tertium, quo species terrae marisque digestae sunt, et lignum atque herbam terra produxit. An forte hoc illud est, quod in libro superiore moliebamur ostendere, simul Deum fecisse omnia, quandoquidem narrationis illa contextio, cum sex dierum ordine creata cuncta et consummata memorasset, nunc ad unum diem omnia rediguntur nomine coeli et terrae, adiuncto etiam fruticum genere? Nimirum propter quod supra dixi, ut si fortassis ex hac nostra consuetudine intellegeretur dies, corrigeretur lector, cum recoleret viride agri ante istum solarem diem Deum dixisse ut terra produceret.
En outre, la narration précédente indique un jour qui a été fait au commencement (primitus) et le considère comme “un seul” (unum un, unique) jour. Après celui-ci il énumère un deuxième, dans lequel est fait le firmament, et un troisième, dans lequel furent distinctes les espèces de la terre et de la mer et dans lequel la terre produisit le bois et l’herbe. N’est-ce pas là ce que nous nous sommes efforcés de montrer dans le livre précédent, que Dieu a tout fait simultanément, du moment que le texte de ce récit-là avait rappelé qu’elles avaient toutes été créées et achevées dans l’ordre des six jours et maintenant toutes elles convergent vers un seul (unum) jour sous l’appellation de “ciel et terre” et l’ajout des végétaux? Certainement, selon ce que j’ai dit au-dessus, si le jour devait être compris d’après notre habitude, le lecteur se corrigerait, lorsqu’il se rappellerait que Dieu avait dit que la terre produise la verdure du champs avant ce jour solaire.

Ita iam non ex alio Scripturae sanctae libro profertur testimonium quod omnia simul Deus creaverit; sed vicina testificatio paginae consequentis ex hac re nos admonet, dicens: Cum factus est dies, fecit Deus coelum et terram, et omne viride agri: ut istum diem et septies intellegas repetitum, ut fierent septem dies; et cum audis tunc facta omnia, cum factus est dies, illam senariam vel septenariam repetitionem sine intervallis morarum spatiorumque temporalium factam, si possis, apprehendas; si nondum possis, haec relinquas conspicienda valentibus: tu autem cum Scriptura non deserente infirmitatem tuam, et materno incessu tecum tardius ambulante proficias; quae sic loquitur, ut altitudine superbos irrideat, profunditate attentos terreat, veritate magnos pascat, affabilitate parvulos nutriat.
Ainsi, le témoignage que Dieu a créé toutes choses simultanément n’est plus apporté par un autre livre de l’Ecriture (Eccl. 18,1), mais l’attestation proche, celle de la page qui la suit, nous avise en disant: “Lorsque le jour fut fait, Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure du champ”, de façon à ce que tu comprennes que ce jour est répété sept fois, pour faire sept jours; et, si tu le peux, apprends que lorsque le jour fut fait, c’est alors que tout a été fait et que cette répétition de six ou sept fois s’est faite sans intervalles de temps et d’espace; si, par contre, tu ne le peux pas laisse observer ces choses à ceux qui le peuvent, toi progresse avec l’Ecriture qui ne t’abandonne pas à ton infirmité et, avançant avec toi maternellement d’un pas plus lent, elle parle de telle façon que par sa hauteur, elle se moque des orgueilleux, par sa profondeur met à terre ceux qui la sondent, par sa vérité elle rassasie les grands et nourrit les petits par son affabilité.

[…]

Le temps a commencé à partir de la créature.

5, 5. 12. Factae itaque creaturae motibus coeperunt currere tempora: unde ante creaturam frustra tempora requiruntur, quasi possint inveniri ante tempora tempora. Motus enim si nullus esset vel spiritalis vel corporalis creaturae, quo per praesens praeteritis futura succederent, nullum esset tempus omnino. Moveri autem creatura non utique posset, si non esset. Potius ergo tempus a creatura, quam creatura coepit a tempore; utrumque autem ex Deo. Ex ipso enim, et per ipsum, et in ipso sunt omnia.
Ainsi les temps commencèrent à s’écouler avec les mouvements de la créature qui avait été faite: donc, avant la créature c’est en vain que sont recherchés les temps, comme si des temps avant les temps pouvaient être trouvés. Si, en effet, il n’y avait pas le mouvement de la créature, soit-elle spirituelle ou corporelle, par lequel les choses futures succèdent aux passées à travers le présent, il n’y aurait pas du tout de temps. Et certainement la créature ne pourrait se mouvoir, si elle n’existait. Donc, c’est plutôt le temps qui commence à partir de la créature, que la créature à partir du temps, les deux toutefois proviennent de Dieu; en effet de lui, par lui et en lui sont toutes choses (Romains 11, 36).

Nec sic accipiatur quod dictum est: Tempus a creatura coepit, quasi tempus creatura non sit; cum sit creaturae motus ex alio in aliud, consequentibus rebus secundum ordinationem administrantis Dei cuncta quae creavit. Quapropter cum primam conditionem creaturarum cogitamus, a quibus operibus suis Deus in die septimo requievit; nec illos dies sicut istos solares, nec ipsam operationem ita cogitare debemus, quemadmodum nunc aliquid Deus operatur in tempore: sed quemadmodum operatus est unde inciperent tempora, quemadmodum operatus est omnia simul, praestans eis etiam ordinem, non intervallis temporum, sed connexione causarum, ut ea quae simul facta sunt, senario quoque illius diei numero praesentato perficerentur.
Qu’on ne comprenne pas non plus, puisqu’il a été dit que le temps commence à partir de la créature, que le temps n’est pas une créature, puisqu’il est le mouvement de l’une à l’autre dans les choses qui se succèdent selon l’ordre de Dieu qui administre tout ce qu’il a créé. C’est pourquoi, lorsque nous réfléchissons à cette première création (conditio) des créatures, œuvres desquelles Dieu s’est reposé le septième jour, nous ne devons pas réfléchir à ces jours comme à ces jours solaires, ni à l’œuvre de Dieu elle-même à la même façon dont il opère quelque chose maintenant dans le temps, mais de la même façon par laquelle il a été à l’œuvre là d’où les temps ont commencé, lorsqu’il il a fait toute chose simultanément, donnant aux choses un ordre, non par des intervalles de temps, mais par la connexion des causes, afin que ces choses qui ont été faites simultanément soient conduites à la perfection ayant rendu présent ce même jour six fois.

L’ordre temporel est autre que l’ordre causal.

5, 5. 13. Non itaque temporali, sed causali ordine prius facta est informis formabilisque materies, et spiritalis et corporalis, de qua fieret quod faciendum esset, cum et ipsa priusquam instituta est, non fuisset: nec instituta est nisi ab illo utique summo Deo et vero, ex quo sunt omnia.
Ce n’est pas, donc, dans un ordre de temps, mais de cause que d’abord fut faite la matière informe et qui peut être formée, [matière] spirituelle et corporelle, à partir de laquelle faire ce qui devait être fait, alors qu’elle-même, avant d’avoir été apprêtée (instituta), elle n’existait pas; elle n’a pas, non plus, été ainsi apprêtée (instituta) si ce n’est par le Dieu très-haut et véritable, à partir duquel sont toutes choses.

Quae sive coeli et terrae nomine significata sit, quae in principio fecit Deus ante unum illum diem quem condidit, propterea iam sic appellata, quia inde facta sunt coelum et terra; sive nomine terrae invisibilis et incompositae atque abyssi tenebrosae, iam in primo libro tractatum est.
Celle-ci [cette matière informe] est signifiée par le terme “ciel et terre”, que Dieu fit in principio avant ce jour unique, qu’il a établi (condidit) et c’est pour cela qu’elle est ainsi appelée [ciel et terre], parce que à partir de là furent faits le ciel et la terre; ou bien [la matière est aussi signifiée par le terme] de terre invisible et non-organisée (incomposita) et d’abîme ténébreux; de cela j’ai déjà traité dans le premier livre.

Conclusions des interprétations précédentes.

5, 5. 16. Hic est ergo liber creaturae coeli et terrae, quia in principio fecit Deus coelum et terram 14, secundum materiae quamdam, ut ita dicam, formabilitatem, quae consequenter verbo eius formanda fuerat, praecedens formationem suam, non tempore, sed origine.
Celui-ci est donc le livre [qui parle] de la création du ciel et de la terre, puisque dans le principe (in principio) Dieu fit le ciel et la terre selon une certaine matière, de façon telle que je pourrais dire “formabilité” laquelle ensuite était appelée à prendre forme par sa parole et qui a précédé cette formation non dans le temps, mais dans l’origine.

Saint Augustin, avec toutes les précautions nécessaires, reprend ici un thème qui a été l’enjeu de beaucoup de discussions dans les siècles précédents. Il s’agit toujours de parler de ce principium, de ce premier mot de la bible qui situe toute l’œuvre de la création dans le plan de Dieu. Il s’agit d’y lire l’ordre dans lequel Dieu a fait connaître son plan. Évidemment il n’y a pas de succession de pensées en Dieu car il n’est pas dans le temps, le temps est une créature de Dieu. Mais, Dieu a voulu néanmoins communiquer à d’autres ce plan, selon le mode de ses créatures inscrites dans le temps.  Il l’a ainsi présenté d’abord aux créatures spirituelles, les anges. C’est le premier jour, longuement expliqué dans le quatrième livre que nous traiterons par la suite. La création de la lumière au premier jour, alors qu’il n’y a pas encore les éléments, indique que Dieu se communique et fait tout connaître aux anges, qui sont illuminés par sa lumière. Ils connaîtront ainsi la création par le créateur, ils contemplent l’origine de la lumière et en lui, ils connaissent les créatures. Ce n’est pas en regardant le monde créé qu’ils ont connaissance de la créature. C’est pour cela que ce principe se place en Dieu, c’est sa sagesse communiquée aux créatures par sa parole: “et Dieu dit.”
Ainsi Augustin distingue cette “formabilité” qui correspond à sa volonté de créer une matière spirituelle et corporelle qui serait actuellement créée par sa Parole. Le danger était ici de parler d’une matière préexistante, coéternelle à Dieu qui aurait été seulement modelée non créée par un Dieu démiurge ou bien d’une idée éternelle subsistante par elle même et donnant forme par elle même à une matière. Augustin évite ces propos et rappelle que Dieu à créé ce qui ne peut pas exister en dehors de lui et tient néanmoins à préserver la lecture littérale de ce texte qui se situe hors du temps, dans le plans de Dieu ainsi communiqué à ses créatures selon l’ordre de l’origine. C’est à dire comment chaque cause est ordonnée en Dieu, voulue par lui et inscrite par lui dans une succession temporelle qui est propre à la créature.
Il faut noter le mot “formabilité” que Augustin forge ici pour nous parler de ce plan de Dieu, de cette vision que Dieu a de ce qui est à venir et qui donc, en tant que créature va assumer une forme. Donc, résume Augustin, ce livre nous présente la création du ciel et de la terre en tant que conçue par Dieu, dans sa volonté de se faire connaître, dans sa sagesse, “in principio” qui ensuite sera façonnée, formée en conformité, à l’image de sa parole qui donne forme à toute chose.

Nam utique cum formaretur, primum factus est dies cum factus est dies, fecit Deus coelum et terram, et omne viride agri antequam esset super terram, et omne fenum agri antequam exoreretur, sicut tractavimus; vel si quid liquidius et congruentius videri et dici potuit aut potuerit.
En effet, avant toute chose, lorsque [cette matière, cette formabilité] reçut une forme, ce fut le jour qui fut fait en premier; lorsque le jour fut fait, Dieu fit le ciel et la terre et toute verdure du champs, avant que [cette verdure] fut au-dessus de la terre, et tout le foin du champs, avant qu’il ne sorte [de la terre]; ainsi nous nous sommes exprimés; ou bien, il se pourrait qu’on puisse voir et dire quelque chose qui apporte une meilleure solution ou qui soit plus congruent.

La première création a été fait sans durée de temps, mais non le gouvernement de cette création.

5, 11. 27. Sed illud etiam atque etiam consideremus, utrum possit nobis per omnia constare sententia qua dicebamus, aliter operatum Deum omnes creaturas prima conditione, a quibus operibus in die septimo requievit; aliter ista eorum administrationem, qua usque nunc operatur: id est, tunc omnia simul sine ullis temporalium morarum intervallis; nunc autem per temporum moras, quibus videmus sidera moveri ab ortu ad occasum, coelum mutari ab aestate ad hiemem, germina certis dierum momentis pullulare, grandescere, virescere, arescere. Animalia quoque statutis temporum metis et cursibus et concipi, et perfici, et nasci, et per aetates usque in senium mortemque decurrere, et caetera huiusmodi temporalia. Quis enim operatur ista nisi Deus, etiam sine ullo tali suo motu? non enim et ipsi accidit tempus.
Mais considérons encore et encore, si nous pouvons tenir comme assurée en tout cette affirmation par laquelle nous disions qu’une chose est l’œuvre de Dieu lorsqu’il a établi toutes les créatures une première fois et qu’il s’est reposé de ces œuvres le septième jour, autre chose est leur gouverne (administratione), par laquelle il est à l’œuvre jusqu’à maintenant: c’est-à-dire qu’alors tout a été simultanément sans aucune intervalle des durées temporelles, maintenant, par contre, à travers des durées des temps, dans lesquelles nous voyons les astres se mouvoir du levant au couchant, le ciel changer de l’été à l’hiver, les semences germer, croître, verdir, se dessécher dans certaines périodes de jours, les animaux aussi en des limites et périodes de temps préétablies sont conçus, se forment, naissent et traversent les âges jusqu’à la mort dans la vieillesse et de la même façon  pour les autres [qui ont des existences] temporelles. Qui c’est, donc, sinon Dieu, qui opère cela sans aucun mouvement de cette sorte en lui? En effet, le temps ne l’affecte pas lui-même.

Inter illa ergo opera Dei, a quibus requievit in die septimo, et ista quae usque nunc operatur, quemdam Scriptura interponens suae narrationis articulum, commendavit se illa explicasse, et coepit iam ista contexere. Illorum explicatorum commendatio sic facta est: Hic est liber creaturae coeli et terrae, cum factus est dies, fecit Deus coelum et terram, et omne viride agri antequam esset super terram, et omne fenum agri antequam exoreretur. Non enim pluerat Deus super terram, nec erat homo qui operaretur terram. Istorum autem contextio sic coepit: Fons autem ascendebat de terra, et irrigabat omnem faciem terrae. Ab hac commemoratione fontis huius et deinceps ea quae narrantur, per moras temporum facta sunt, non omnia simul.
Donc, entre ces œuvres de Dieu, desquelles il s’est reposé le septième jour, et celle-ci, qu’il opère jusqu’à maintenant, l’écriture, interposant un paragraphe dans sa narration, annonce qu’elle a expliqué ces choses-là et elle commence à décrire celles-ci. Voici l’annonce que l’explication des premières a été faite: “Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, lorsque le jour fut fait, Dieu fit le ciel et la terre et toute verdure du champs, avant que [cette verdure] fut au-dessus de la terre, et tout le foin du champs, avant qu’il ne sorte [de la terre]. En effet, Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver la terre.” Par contre, c’est ainsi que commence la trame de celles-ci [les deuxièmes œuvres]: “mais une source surgissait de la terre et irriguait toute la surface de la terre.” À partir de la mention de cette source, ce qui est raconté après fut fait selon les durées des temps et non pas simultanément.

Trois façons de considérer l’oeuvre de Dieu.

5, 12. 28. Cum ergo aliter se habeant omnium creaturarum rationes incommutabiles in Verbo Dei, aliter illa eius opera a quibus in die septimo requievit, aliter ista quae ex illis usque nunc operatur; horum trium hoc quod extremum posui, nobis utcumque notum est per corporis sensus, et huius consuetudinem vitae. Duo vero illa remota a sensibus nostris, et ab usu cogitationis humanae, prius ex divina auctoritate credenda sunt; deinde per haec quae nota sunt, utcumque noscenda, quanto quisque magis minusve potuerit pro suae capacitatis modo, divinitus adiutus ut possit.
Une chose sont donc les raisons immuables de toutes les créatures dans la Parole de Dieu, une autre les œuvres [de Dieu], dont il s’est reposé le septième jour et une autre encore celles-ci qu’il opère à partir de ces dernières jusqu’à maintenant. De ces trois [oeuvres], ce que j’ai placé en dernier nous est connu d’une certaine façon par les sens corporels et par ce qui est habituel en cette vie. En vérité, ces deux [premières œuvres] sont loin de nos sens et du fonctionnement de la pensée humaine, d’abord elles doivent être crues en vertu de l’autorité divine, et ensuite, elles doivent être connues, dans la mesure du possible, à travers ce qui est connu, selon que l’un en sera plus capable et l’autre moins, secouru divinement de façon à ce qu’il en soit capable.

Article sur  la “Genèse à la lettre, livre incomplet”

Michael M. G o r m a n, The Text of Saint Augustine’s « De Genesi ad litteram imperfectus liber », dans Recherches Augustiniennes et Patristiques, Brepols online

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  1. Ambroise sur Genèse 1, 1 – Bible
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